Monstruosité, Beauté Extrême.
Qui donc, si je criais, parmi les cohortes des anges, m’entendrait ?
Et l’un d’eux quand même dût-il me prendre soudain sur son cœur,
ne m’évanouirais-je pas sous son existence trop forte ?
Car le beau n’est que ce degré du terrible qu’encore nous supportons
et nous ne l’admirons tant que parce que, impassible, il dédaigne
de nous détruire.
Tout ange est terrible.
Première des Elégies de Duino.
Rainer Maria Rilke
La Nature a un pouvoir de création illimité. Le Musée Dupuytren en est un exemple.
On pourrait, en voyant les spécimens qui s’y trouvent, en être totalement
effrayé. Pourtant, pour celui qui veut bien regarder avec les yeux du cœur
et de l’âme, ces spécimens flottant depuis des décennies ou un siècle
ou deux dans des bocaux, ou réduits à l’état de squelettes, y verra
des tentatives de la Nature pour accéder à la vie sous une multitude
de formes. Si les monstres doubles, les cyclopes et bien d’autres encore
nous fascinent et nous effrayent, ils remuent au fond de nous à la fois
tout ce qui à trait à la mythologie depuis les âges obscurs de l’humanité,
de Janus le dieu bifrons à Polyphème le cyclope fils de Poséidon victime
de la ruse d’Ulysse et une notion proprement vertigineuse de fraternité et
d’amour immenses d’une humanité qui ne se laisse pas enfermer dans les
canons d’une esthétique conventionnelle, aussi prestigieuse soit elle,
grecque ou égyptienne par exemples. Alors s’ouvre le chemin d’une véritable
compassion, d’un changement profond de notre regard sur le monde,
début possible d’une révolution faite de tendresse du regard et du geste.
C’est sur ce chemin proprement infréquenté que nous proposons
de nous engager ensemble.
Docteur Patrice Josset
Directeur du Musée Dupuytren
Mai 2005
Difficile de prendre la parole après Rilke, après le Docteur Josset,
ami fidèle et érudit. Mais après toutes ces années d’errances photo-sensitives,
dans des domaines profondément humains et finalement intimement liés,
je ne suis pas étonné de me retrouver, au sein des ossuaires napolitains,
en symbiose avec ces âmes errantes. Car, de même, les enfants dans les bocaux,
sont des âmes qui ne cessent de nous questionner et de réveiller nos tendresses.
Jean Luc Dubin